JORDAN (C.)

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JORDAN (C.)

Le mathématicien français Camille Jordan fut le spécialiste indiscuté de la théorie des groupes pendant toute la fin du XIXe siècle et on lui doit de très nombreux résultats, tant sur les groupes finis que sur les groupes dits classiques, dont il fut le premier à mesurer toute l’importance. Ses cours d’analyse contribuèrent au développement de la théorie des fonctions de variable réelle.

Éléments biographiques

Camille Jordan est né à Lyon, d’une famille aisée: son grand-père était l’homme politique royaliste dont il porte le prénom, son père était polytechnicien et sa mère était la sœur du peintre Puvis de Chavannes. En 1855, à dix-sept ans, il est reçu premier à l’École polytechnique et sort de l’École des mines en 1861; il sera, du moins en titre, ingénieur chargé de la surveillance des carrières de Paris jusqu’en 1885, ce qui n’empêchera pas une intense activité de recherche mathématique. Nommé examinateur à l’École polytechnique en 1873, puis professeur en 1876, il entre à l’Académie des sciences en 1881 puis succède à Joseph Liouville au Collège de France deux années plus tard. De 1885 à 1921, il assume la direction du Journal de mathématiques pures et appliquées fondé par Liouville.

Groupes finis

Malgré les efforts de Liouville, l’œuvre d’Évariste Galois était restée à peu près totalement inconnue du monde des mathématiques (seul Leopold Kronecker avait utilisé certains de ses résultats), et c’est à Jordan, avec son Traité des substitutions et des équations algébriques , publié à Paris en 1870, que l’on doit le premier exposé systématique de théorie des groupes, enrichi de dix années de recherches personnelles. Il s’y limite aux groupes finis, plus précisément aux groupes de permutations, et introduit de nombreux concepts nouveaux, comme la notion abstraite de représentation d’un groupe sur un autre ou celle de groupe quotient ; c’est lui qui dégage l’importance intrinsèque des facteurs de composition en démontrant la première partie du théorème dit de Jordan-Hölder, celle qui affirme l’invariance des indices des groupes consécutifs dans toute décomposition maximale (cf. GROUPES – Groupes finis).

Dans des mémoires ultérieurs, Jordan étudie en détail, essentiellement du point de vue des facteurs de composition, le groupe linéaire et les groupes orthogonaux et symplectiques sur un corps premier fini (cf. GROUPE – Groupes classiques et géométrie). L’application de ces résultats au groupe de Galois d’équations qui interviennent dans la théorie des fonctions abéliennes donne des propriétés spectaculaires de ces fonctions et des configurations géométriques qui leur sont liées: trisection des périodes des fonctions quadruplement périodiques, liée aux vingt-sept droites d’une surface cubique et aux seize droites des surfaces du quatrième degré à conique double, détermination des seize points doubles de la surface de Kummer, etc.

Ce sont les équations différentielles qui ont conduit Jordan, à la suite des travaux de Lazarus Fuchs et de Felix Klein, à l’étude des sous-groupes finis du groupe GL (n , C) des matrices nn à coefficients complexes qui sont inversibles; en effet, ce problème correspond à la recherche des équations différentielles linéaires d’ordre n admettant des solutions algébriques. En plus d’énumérations (d’ailleurs incomplètes) pour n = 3 et n = 4, on doit à Jordan un profond théorème de finitude qui peut s’énoncer ainsi: Il existe une fonction 﨏(n ) telle que tout groupe fini G de matrices d’ordre n contienne un sous-groupe distingué diagonalisable dont l’indice dans G soit inférieur à 﨏(n ). Les études de Jordan sur le groupe linéaire font intervenir des considérations sur la réduction des matrices, et, en particulier, la forme dite de Jordan.

D’autres mémoires sont relatifs aux propriétés de primitivité et de multiple transitivité des sous-groupes du groupe symétrique n des permutations de n objets. À l’exception des groupes symétriques et alternés, on ne connaît qu’un nombre fini de groupes de permutations qui sont plus de trois fois transitifs. À la suite de E. Mathieu, Jordan obtient de nombreux résultats tendant à limiter le nombre de ces groupes; c’est ainsi qu’appliquant les tout récents théorèmes de Sylow il montre que, si p est premier et si k est strictement supérieur à 2, les seuls sous-groupes de p+k qui sont plus de k fois transitifs sont symétriques ou alternés. Le résultat essentiel est ici un difficile théorème de finitude qui affirme l’existence d’une constante A telle qu’un sous-groupe primitif G de n ne contenant pas le groupe alterné d’ordre n ne peut être de classe c que si:

(Jordan désigne par classe d’un sous-groupe G de n le plus petit entier c 閭 1 tel qu’il existe une permutation de G distincte de l’identité qui déplace seulement c objets).

Indiquons enfin les efforts de Jordan pour déterminer tous les groupes résolubles finis en réponse au problème, posé par Niels Henrik Abel, de rechercher toutes les équations de degré donné résolubles par radicaux [cf. GALOIS (É.)]. Par des réductions successives utilisant de fines propriétés des groupes classiques, il construit un modèle théorique de détermination complète des sous-groupes résolubles maximaux du groupe symétrique n . Cela lui permet par exemple de déterminer le nombre de sous-groupes résolubles (non isomorphes) de n pour tous les entiers n 麗 10 000.

Algèbre linéaire et théorie des nombres

En plus des résultats donnés ci-dessus relatifs au groupe linéaire, on doit à Jordan un exposé complet de la géométrie euclidienne réelle à n dimensions par des méthodes entièrement analytiques: notion de perpendicularité, angles, distances y sont introduits, comme de nos jours, à partir d’une forme bilinéaire. Les considérations infinitésimales de Jordan sur le groupe orthogonal sont le premier exemple d’une telle approche d’un groupe «continu» et, avec un mémoire sur les «groupes de mouvements», préfigurent les idées développées quelques années plus tard par Sophus Lie. Mentionnons enfin des travaux sur la réduction des formes bilinéaires et des formes quadratiques et sur la théorie des invariants.

Les résultats les plus importants obtenus par Jordan en théorie des nombres sont relatifs aux formes à coefficients entiers (ou à coefficients entiers de Gauss). Par des majorations généralisant celles d’Hermite, il montre que, si une telle forme F est de degré m 礪 2 et de discriminant non nul, le sous-groupe de GL(n , C) laissant F invariante est fini. Pour m = 2, il montre qu’il n’existe qu’un nombre fini de classes d’équivalence de formes quadratiques de discriminant donné (deux formes étant équivalentes si on passe de l’une à l’autre par une substitution modulaire à coefficients entiers).

Analyse

L’enseignement de Jordan à l’École polytechnique, puis au Collège de France, l’amène à préciser de nombreuses notions de la théorie des fonctions de variable réelle et son Cours d’analyse de l’École polytechnique , dont la première édition date de 1880, contribuera à former des générations de mathématiciens. Citons Henri Lebesgue: «Qu’est-ce qu’une aire? se demande Jordan. Qu’est-ce qu’un volume, une intégrale, la longueur d’un arc de courbe? Qu’est-ce même qu’une courbe ou un domaine? Jordan étudie ces questions en mathématicien et non en métaphysicien... Après lui, on ose étudier les fonctions réelles générales, un peu oubliées au cours du XIXe siècle; on avoue de nouveau que l’analyse a pour but l’étude du réel, de celui même qui ne se laisse pas prolonger dans le domaine complexe.» À la même époque que Giuseppe Peano, Jordan introduit les notions de mesures intérieure et extérieure et définit les ensembles quarrables pour lesquels ces deux nombres sont égaux. On lui doit aussi la notion de fonction à variation bornée, qui lui permet de donner une définition correcte de la longueur d’une courbe et d’obtenir sous sa forme générale le théorème de convergence des séries de Fourier; mais le résultat le plus célèbre est celui qui affirme qu’une courbe fermée «simple» (dite, de nos jours, courbe de Jordan) sépare le plan en deux régions.

Signalons enfin, pour terminer, que Jordan, précurseur de Henri Poincaré, a écrit plusieurs mémoires d’Analysis situs , c’est-à-dire de topologie combinatoire. On lui doit une démonstration, devenue classique, du théorème d’Euler sur les polyèdres et le fait que deux surfaces de même genre sont applicables l’une sur l’autre (ce qui, comme l’a montré Poincaré, n’est pas vrai en général pour les hypersurfaces).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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